Une drague classée X
Le moulin de l’arsenal est issu de la rencontre fructueuse de la vase et de l’École Polytechnique. Jean-Baptiste Hubert (1781 – 1845) fait partie de la 4e promotion de cette institution créée en 1794. Il y reçoit un savoir théorique très élaboré, où la quantification des phénomènes, la modélisation des gestes et la maîtrise de la mécanique forment un fond particulièrement adapté aux arsenaux. La République et l’Empire chargent ces vaillants Polytechniciens de diffuser leur savoir au sein de toute la Nation et de se mettre au service de la rentabilité, de la productivité et du génie français. Avec Hubert, ils ne seront pas déçus. Après avoir choisi de servir dans la Marine, filière alors la plus prestigieuse, il prend ses fonctions à Rochefort en 1805, comme ingénieur de 3e classe. Il est immédiatement frappé par l’omniprésence d’un acteur mou, intrusif et agaçant et décide de s’attaquer à la vase qui s’accumule à l’entrée de la double forme de radoub.
Creusé en 1683, ce bassin sert à l’entretien des coques de navire. Il a la particularité de présenter deux places : vers l’amont pour les grosses réparations, vers l’aval pour les radoubs plus légers. La mise en service de cette double forme est particulièrement compliquée, en raison de l’omniprésence de l’eau dans les fondations, qui oblige à un pompage permanent. Elle n’entre en fonction qu’en 1725, ce qui suffit à prendre la mesure de l’effarante logistique rochefortaise. Malgré tout, cette prouesse technologique est largement sous utilisée en raison de la vase qui s’accumule devant l’accès au bassin. Le visiteur du 21e siècle qui se rend sur place aujourd’hui peut comprendre aisément l’ampleur d’un problème qui n’a guère varié. Pour dégager cette montagne de limon dense et collant, on recourt à des larges pelles de bois retenues par des chaînes, le tout tiré par des bœufs. Il fallait plusieurs mois pour nettoyer totalement l’accès. Le cout et la complexité de l’affaire en faisaient la rareté et le dragage n’avait lieu, au mieux, que tous les trois ans. Aucun navire ne pouvait alors entrer ni sortir des formes.