Le moulin de l’arsenal : une histoire rochefortaise

Le moulin à vent que conçoit en 1805 l’ingénieur Hubert dans l’arsenal de Rochefort est l’une des plus étonnantes réalisations du Génie Maritime. Relevant d’une technologie fort ancienne, il acquiert le statut de machine ultra moderne par l’ajout d’éléments adaptés aux besoins spécifiques de l’arsenal. A travers lui se jouent les permanences de l’histoire maritime de Rochefort, faite d’une constante ingéniosité née de la contrainte qu’apporte l’acteur central de Rochefort : la Charente.

Quand flocule le limon

Au commencement de l’arsenal était la vase. A la fin également, mais n’anticipons pas. Le moulin de Hubert et le système de dragage original qu’il conçoit en 1805, s’inscrivent dans une histoire longue et lancinante, celle des accommodements entre la Marine et le limon de la Charente.

En 1666, le site de Rochefort est retenu pour installer le grand arsenal du Ponant dont rêve Louis XIV, pour des raisons de protections naturelles, d’approvisionnement par la Charente et de position médiane entre Nantes et Bordeaux, les deux grands ports de commerce dont la Marine de guerre protège les convois. Les conditions naturelles de l’espace où doit se déployer cette gigantesque et magnifique usine sont en revanche est très largement sous estimées. Colbert du Terron, intendant de la province d’Aunis et cousin du ministre, n’a guère évoqué la question tant est grand son désir de convaincre le roi de s’installer chez lui. Seuls comptent ici les formidables qualités du site et du reste, ce ne sont pas quelques monceaux de limon qui peuvent stopper la volonté d’un souverain qu’on ne compare qu’au soleil… L’avenir est moins majestueux.

Une drague classée X

Le moulin de l’arsenal est issu de la rencontre fructueuse de la vase et de l’École Polytechnique. Jean-Baptiste Hubert (1781 – 1845) fait partie de la 4e promotion de cette institution créée en 1794. Il y reçoit un savoir théorique très élaboré, où la quantification des phénomènes, la modélisation des gestes et la maîtrise de la mécanique forment un fond particulièrement adapté aux arsenaux. La République et l’Empire chargent ces vaillants Polytechniciens de diffuser leur savoir au sein de toute la Nation et de se mettre au service de la rentabilité, de la productivité et du génie français. Avec Hubert, ils ne seront pas déçus. Après avoir choisi de servir dans la Marine, filière alors la plus prestigieuse, il prend ses fonctions à Rochefort en 1805, comme ingénieur de 3e classe. Il est immédiatement frappé par l’omniprésence d’un acteur mou, intrusif et agaçant et décide de s’attaquer à la vase qui s’accumule à l’entrée de la double forme de radoub.

Creusé en 1683, ce bassin sert à l’entretien des coques de navire. Il a la particularité de présenter deux places : vers l’amont pour les grosses réparations, vers l’aval pour les radoubs plus légers. La mise en service de cette double forme est particulièrement compliquée, en raison de l’omniprésence de l’eau dans les fondations, qui oblige à un pompage permanent. Elle n’entre en fonction qu’en 1725, ce qui suffit à prendre la mesure de l’effarante logistique rochefortaise. Malgré tout, cette prouesse technologique est largement sous utilisée en raison de la vase qui s’accumule devant l’accès au bassin. Le visiteur du 21e siècle qui se rend sur place aujourd’hui peut comprendre aisément l’ampleur d’un problème qui n’a guère varié. Pour dégager cette montagne de limon dense et collant, on recourt à des larges pelles de bois retenues par des chaînes, le tout tiré par des bœufs. Il fallait plusieurs mois pour nettoyer totalement l’accès. Le cout et la complexité de l’affaire en faisaient la rareté et le dragage n’avait lieu, au mieux, que tous les trois ans. Aucun navire ne pouvait alors entrer ni sortir des formes.

 

Grandeur et déclin d’un moulin à tout faire

C’est peu dire que l’ensemble donne toute satisfaction. Le directeur des Constructions navales écrit à Paris en février 1807 : J’ai l’honneur de vous prévenir que la machine inventée par M. Hubert pour draguer l’avant bassin des nouvelles formes ayant obtenu un succès complet et produisant une économie énorme sur la méthode anciennement usitée avec l’avantage d’entretenir les portes toujours dégagées de vase. M. le Préfet maritime a cru dans sa justice devoir demander pour lui le grade d’ingénieur. Rien ne vaut un moulin pour avancer dans la vie.

Une fois nettoyé, l’accès au bassin n’exige plus que deux jours de fonctionnement pour empêcher la formation d’un nouveau monticule de vase. Hubert, en bon polytechnicien soucieux d’efficacité, branche de nouvelles machines sur son moteur à vent. Dès mars 1807, une machine à broyer les couleurs, composée de six meules de pierre, est installée au premier étage du moulin. Elle écrase les pigments minéraux qui composent les peintures dont on peint les navires. En janvier 1809, un laminoir à plomb, est placé dans un petit édifice bâti près du moulin qui lui fournit l’énergie : deux fortes calandres écrasent des lingots de plomb et les transforment en feuille. Plusieurs parties des navires particulièrement exposées, comme les écubiers par où passent les câbles d’ancre, ou les toilettes des officiers (élément central de la puissance navale…) sont en effet recouvertes de plomb. Un tour à métaux pour les réas des poulies est également mis en place au deuxième étage du moulin. Le laminoir à plomb exige toute la puissance du moulin. Hubert précise que l’on peut faire fonctionner en même temps drague et peinture, ou peinture et tour ou drague et tour.