Les siècles passent mais la vase demeure ...
Dès sa création en 1666, les deux problématiques majeures de l’arsenal furent l’environnement marécageux et l’éloignement de la côte, qui lui assurait cependant protection. De tous temps, l’innovation et l’audace ont payé pour réussir à composer avec les difficultés. L’après-guerre est rude pour Rochefort. Elle a perdu son principal poumon économique et doit se réinventer. Dans les années 1970, à l’impulsion donnée par l’amiral Dupont qui occupe ses troupes à débroussailler et nettoyer les ruines de la Corderie, succède la volonté d’une municipalité clairvoyante et active. La Corderie Royale est entièrement restaurée et ses abords dessinés en jardin des Retours dans les années 1980.
En 1997, la réhabilitation de l’arsenal se poursuit avec le lancement du chantier de construction de L’Hermione dans les formes de radoub rendues utilisables grâce à de nouveaux bateaux-portes. Ce chantier-spectacle, né la même année que celui tout aussi novateur du château fort de Guédelon (Bourgogne), remporte un franc succès. Nombreux sont ceux qui suivent d’année en année l’avancée de la frégate, toute de bois, presque comme au XVIIe-XVIIIe siècles.
Vingt-et-un-ans plus tard, les fidèles sont là : L’Hermione quitte son quai d’attache pour rejoindre, comme le fit en 1780 La Fayette pour assurer du soutien de la France contre les Anglais les colonies qui allaient devenir les Etats-Unis. Quoiqu’il en soit l’aventure continue au XXIe siècle avec cette formidable ambassadrice des mers qui, non contente d’avoir croisé à New York ou à Boston, s’est offert depuis un périple en Méditerranée et est allée saluer les ports normands.
Mais le problème demeure, comme autrefois : l’envasement empêche toute entrée ou sortie des formes de radoub sans un dragage préalable. A raison de 40-60 centimètres de sédiments inlassablement déposés par les marées chaque mois, le travail s’avère ardu s’il n’a pas été effectué depuis un certain temps…La solution imaginée par Jean-Baptiste Hubert fait echo à l’adage d’une géniale simplicité et d’une efficacité redoutable : « mieux vaut prévenir que guérir » ; dans le cas présent :il est plus facile d’enlever de la vase qui flocule qu’un gros tas de limon.
L’emploi de l’énergie éolienne répond aujourd’hui de façon étonnante à des préoccupations bien contemporaines.
Contrairement à la drague actuelle (gros aspirateur qui ne fait pas dans la dentelle), dont le coût d’intervention est tout de même d’environ 150 000 €, c’est une solution écologique. L’action du bateau-racleur ne provoque aucune perturbation de l’écosystème fragile de la Charente et n’est donc pas soumise à l’interdiction de dragage entre le 15 juin et le 15 septembre.
Rappelons que Rochefort est pionnière en matière d’environnement avec un traitement naturel des eaux usées de la ville mis en place dès les années 1970 (station de Lagunage), le siège de la LPO, le Centre International de la Mer ou encore le forum des Marais. Nous ne prétendons pas égaler Jean-Baptiste Hubert qui rentabilisa son moulin à draguer en une seule année. Néanmoins, le retour sur investissement de la construction d’un nouveau moulin est quantifiable et le modèle économique, viable. L’énergie produite par le moulin sera supérieure à celle nécessaire au bateau-racleur pour accomplir sa mission de nettoyage de l’entrée des formes. Cela a été clairement démontré par les études menées par nos membres et les quatre stagiaires ingénieurs de l’Ecole Nationale des Arts et Métiers de Cluny. Ainsi, le moulin pourrait subvenir aux besoins en électricité de l’arsenal en lui fournissant une énergie la plus propre qui puisse être. La transition énergétique et le développement durable, c’est maintenant.
De plus, le moulin rendrait opérationnel le bassin aval de la double forme. On peut y imaginer un chantier de restauration de navires (refit), ce qui fournirait un apport financier non négligeable et animerait les lieux. Trait d’union entre musée de la Marine et Corderie, sa silhouette familière s’intégrerait entre ces deux acteurs majeurs du site de l’arsenal. Ne perturbant aucune des perspectives du jardin des Retours de Bernard Lassus, il côtoierait L’Hermione et l’Accromâts, renforçant un pôle touristique attractif par le spectacle de ses ailes et de son mécanisme en mouvement. S’il ne peut être une reconstitution fidèle du moulin Hubert, selon le même principe d’innovation qui animait son concepteur, il sera doté d’une ingénerie de haut vol ce qui ne l’empêchera pas de raconter un pan majeur de l’histoire rochefortaise, Du haut de sa coupole, le visiteur découvrira une vue nouvelle de la ville et de la Charente. Et il y a dans un moulin quelque chose de sympathique propre au petit bâti, quelque chose qui nous parle de gestes anciens et de la vie des hommes…